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Petit traité de mesure de l'estime de soi

Dernière mise à jour : 21 oct. 2020

À Toinou, à qui j’avais promis, il y a au moins 5 ans, une histoire de hibou ne voulant pas dormir le jour

À cette même Toinou, et à Marie-Lou : promesse du dimanche 1° mars tenue !


Il était une fois… Non, il était plusieurs fois ! Il est plein de fois des hiboux comme celui-ci, des humains qui pour la même cause vivent d’autres effets. Mais ne racontons ici que l’histoire particulière de ce petit hibou, qui nous fera goûter plus profondément quelques généralités qui rejoindront nos particularités personnelles.

Il était une fois un petit hibou qui ne voulait pas dormir le jour. Son papa se fâcha : « cesse de désobéir : dors ! » Son petit-frère se moqua : « tu veux faire le malin, tu veux être original ! Crâneur ! » Sa grande-sœur le mit en garde : « tu seras épuisé en journée ! »

Sa mère ne dit rien. Elle observa son petit hibou, regarda comme il contemplait les autres espèces animales, et parfois même les humains. Elle vit comme il rêvait, les yeux grands ouverts en les voyant vivre. Elle s’efforça aussi de regarder ce que son amour de mère l’empêchait de voir habituellement : la gaucherie de son fils, empêtré dans ses ailes qui grandissaient de manières inégales, mis mal à l’aise par son bec inélégant et ses plumes trop grasses… Pauvre hibou adolescent.

« C’était plus facile, avant, quand tu ne te posais aucune question», lui dit-elle d’un ton doux, à mi-chemin entre l’interrogation et le constat.

- Oui, sussurra-t-il.

- Ne t’inquiète pas, ça reviendra… avant tu avais confiance en nous, tes parents et dans la grande loi des hiboux. Ça ne te suffit plus. Il te faut avoir confiance en toi-même à présent. Et tu rêves d’être un autre animal parce que tu imagines que leur loi est plus facile que la nôtre… »

Notre hibou est incapable de répondre car toute son énergie, même s’il ne le sait pas, est consacrée à gérer ses ailes qui poussent, ses griffes qui se transforment, son bec qui mue…

Quand il n’aura plus honte d’être soumis à la grande loi des hiboux, il dormira le jour et chassera la nuit. Sa mère alors, rassurée, saura qu’il est adulte, qu’il a désormais confiance en lui, qu’il s’estime, conscient d’être un hibou digne.

Je t’estime, tu l’estimes, il nous estime… ce n’est pas si compliqué à conjuguer quand le complément est extérieur à nous-même… Je m’estime, tu t’estimes, il s’estime… c’est diablement plus compliqué ! Un enfant ne cherche pas à s’estimer lui-même. Sa confiance est en ce qui le dépasse et le sécurise. Son estime est toute entière dans les adultes que son expérience place en protecteurs.

Un ado estime mal : son expérience lui prouve que les adultes ne sont pas aussi estimables que son enfance le croyait. Il les sous-estime tout à coup : leurs lois sont ringardes et leurs conseils dépassés. Il ne s’estime pas lui-même, il est trop changeant pour cela, pas assez stable, et incapable de voir ce qui est immuable chez lui : un certain fond, peuplé de qualités qu’il ensevelit malgré lui… Il n’estime pas ses semblables, il les idéalise puis les rejette lorsqu’il réalise qu’il les a surestimés. Il a pourtant un idéal qui grandit quelque part et qui désire se donner… Un ado estime mal. Mais ça n’est pas le problème. Petit hibou bientôt réalisera que dormir le jour est une bonne chose pour lui.

Ce qui serait embêtant c’est que, une fois adulte, notre hibou persiste à sous-estimer les siens en surestimant les autres espèces. Notre hibou qui rêve de fonder une famille n’y arriverait pas. Quelle femelle hibou voudrait d’un hibou qui se prend pour un aigle ? Et si une corneille tombait amoureuse car il a l’apparence d’une corneille ? Elle déchanterait bien vite en réalisant qu’il est en réalité un hibou… et s’il avait des enfants, comment auraient ils confiance en cet adulte qui ne sait pas qui il est ?

Alors comment saura-t-il qu’il est arrivé à un stade où une certaine unité dans sa vie révèle une juste (ou presque juste) estime de lui ? Il le saura bien voyons, c’est un animal, son instinct le lui dira !

Et les humains ? Les humains réalisent un jour, enfin non, plusieurs jours, en plusieurs fois, étapes par étapes, qu’ils s’acceptent tels qu’ils sont sans cesser de vouloir progresser.

Gudulette ne rêvera plus d’être Marie-Opaline, l’intello de la classe. Elle rêvera de progresser.

Gustave ne rêvera plus d’être Zorro mais de combattre ses propres défauts.

Géraldinette acceptera qu’elle est moins jolie qu’Antoinette mais, sachant que sa voix a quelque chose de charmant, la travaillera pour interpréter des chansons qui ont du sens.

Gaston ne passera plus une heure devant sa glace le matin avant d’aller à la messe par peur qu’Yvette ne le remarque pas à la Paix du Christ. Mais il saura qu’en s’habillant comme lui aime être, Yvette, ou une autre, aura plus de chance de découvrir qui il est en profondeur.

Georgine ne commandera plus des bières « pour faire genre », parce que Théo et Jules en boivent mais sera heureuse de boire sa verveine avec eux, soulagée de s’assumer.

Gérard montrera les poèmes qu’il écrit à ceux qu’il aime, non pour les épater mais pour partager ce qu’il a dans le cœur.

Gasparine arrêtera de penser qu’elle est un génie du fusain et par les cours qu’elle prendra, perfectionnera le réel talent qu’elle a au lieu de répéter, par orgueil, qu’elle n’a rien à apprendre d’un professeur.

Mais tout cela, on ne s’en rend pas toujours compte. Ce sont des fruits de notre estime personnelle. Mais des fruits si intérieurs qu’ils nous sont parfois cachés à nous-même… Plus tard, réalisant que ces fruits eux-mêmes portent du fruit, nous pouvons peut-être un peu mieux mesurer combien notre estime a grandi :

Marie-Opaline deviendra amie avec Gudulette, l’estimant à juste raison pour sa persévérance.

La maman de Gustave n’aura pas peur de le voir voler de ses propres ailes, persuadée que celles-ci le mèneront vers le Paradis, quand l’heure, tardive espère-t-elle, sera venue.

Antoinette deviendra danseuse, inspirée par les beaux chants de Géraldinette.

Yvette découvrira la joie de voir Gaston en toute simplicité et renoncera aux jupes droites que son milieu lui impose et dans lesquelles elle se sent oppressée.

Théo et Jules découvriront une originalité chez Georgine. Théo même, qui sait, en viendra à assumer qu’il préfère un simple panaché. Et Jules, émerveillé de la simplicité de Georgine, aura envie de la connaître mieux.

La femme de Gérard découvrira une profondeur nouvelle chez son mari et leurs enfants seront rassurés par l’amour parental qui grandira.

Bientôt Laurette, le professeur de Gasparine, admettra avec fierté que l’élève dépasse le maître et qu’il faut passer à la main à quelqu’un de plus expérimenté.

La Gaptière,

24 avril 2020 en la fête de Saint Fidèle

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